Jeudi 15 décembre, le Sénat a refusé d’adopter en nouvelle lecture le projet de loi de finances (PLF) pour 2023. Malgré une déception par rapport au nombre de mesures reprises par le Gouvernement, le Sénat est parvenu à imprimer sa marque en obtenant certaines avancées.
Après plus de 160 heures de séance au Sénat, l’examen de plus de 3000 amendements et l’adoption de 600 d’entre eux, la discussion budgétaire est donc arrivée à son terme. Pour rappel, l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) entre députés et sénateurs le 6 décembre dernier avait conduit le Gouvernement à déclencher de nouveau, en nouvelle lecture, la procédure de l’article 49.3 à l’Assemblée nationale.
La question se posait alors de savoir ce qu’il allait retenir des nombreux apports permis par le Sénat sur ce texte, et la déception a été grande pour la chambre des territoires : très peu de mesures ont effectivement été reprises, même parmi celles ayant été adoptées à l’unanimité.
Deux mesures substantielles figurant à l’actif du Sénat ont néanmoins été retenues dans le texte définitif adopté via la procédure de l’article 49.3 :
- La suppression du « Pacte de confiance », qui visait à imposer aux collectivités un encadrement de leurs dépenses de fonctionnement et augurait ainsi un retour des « Contrats de Cahors ». Mesure à la fois injuste et inutile puisque les collectivités font déjà preuve d’un esprit de responsabilité en présentent des budgets équilibrés, le Sénat avait dénoncé son retour inacceptable dans le PLF et s’était montré inflexible pour obtenir sa suppression.
- La conservation du critère de longueur de voirie communale pour déterminer le montant d’attribution des fractions « péréquations » et « cible » de la dotation de solidarité rurale (DSR). Le Gouvernement souhaitait en effet le remplacer par un critère de superficie, pondéré par la densité et la population, ce qui aurait pénalisé en premier chef les communes rurales. La conservation du critère de longueur de voirie est donc une réussite pour le Sénat.
En dehors de ces deux mesures, d’autres apports du Sénat au PLF 2023 ont également été retenus par le Gouvernement :
- Des dispositifs ont d’abord été intégrés au texte pour trouver de nouvelles recettes liées à la fraude et à l’évasion fiscales. Inspirées des recommandations du rapport de la mission d’information sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales de la commission des finances, ont ainsi été reprises les dispositions visant à :
- Lever le secret professionnel à l’encontre des assistants spécialisés placés auprès des procureurs et mis à disposition par la DGFiP, afin de favoriser une meilleure coordination sur les dossiers de fraude les plus complexes (recommandation n° 3)
- Étendre le champ de compétence des officiers fiscaux judiciaires (OFJ) aux escroqueries à la TVA, compétence jusque-là réservée aux officiers douaniers judiciaires (ODJ) alors même que la gestion de son recouvrement a été transférée en quasi-totalité des services des douanes à la DGFiP, afin que les magistrats puissent utilement s’appuyer sur leurs compétences en matière de lutte contre les escroqueries à la TVA (recommandation n°6)
- Réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales (CIF) de 24 à 16, afin de tenir compte de la forte diminution de son volume d’activité depuis la réforme du « verrou de Bercy » et la transmission automatique de certains dossiers de fraude fiscale (recommandation n°4).
- La mesure visant à prolonger le crédit d’impôt permettant l’équipement des bornes électriques a été également été reprise. Accessible aux logements que les contribuables ont affecté à leur habitation principale ou à leur résidence secondaire, ce crédit d’impôt sur le revenu porte sur les dépenses d’acquisition et de pose de systèmes de charge pour véhicule électrique. Initialement prévu jusqu’à la fin de l’année 2023, le Sénat est parvenu à obtenir sa prolongation jusqu’en 2025.
- La prise en compte de la flambée des prix pour les particuliers, les entreprises et les collectivités. Le Sénat a confirmé la mise en place des deux premiers niveaux de protection que sont les boucliers tarifaires et l’amortisseur électricité :
- Les boucliers tarifaires permettront de limiter la hausse des tarifs réglementés de vente (TRV) du gaz et de l’électricité à 15% en 2023, et seront accessibles aux communes de moins de 10 employés à temps plein et percevant moins de 2 millions d’euros de recettes (ce qui correspondrait à 80% des communes selon le Gouvernement).
- L’amortisseur électricité s’appliquera quant à lui aux contrats d’électricité signés par les communes dont la base du prix de l’électricité est comprise entre 180€/MWh et 500€/MWh, et permettra la prise en charge de 50% de la consommation d’électricité dans cette fourchette de prix. La mise en œuvre de cet amortisseur prendra la forme d’un décompte automatique de la facture d’électricité, et ne nécessitera donc aucune démarche spécifique.
Malgré ces avancées notables, de nombreuses mesures n’ont malheureusement pas été retenues :
- L’élargissement et la simplification du filet de sécurité à destination des communes et leur groupement, adopté par le Sénat, n’a pas été conservé par le Gouvernement. Alors que le Sénat souhaitait en faire bénéficier toutes les communes sans exception, le dispositif ne concernera au final que les communes ayant un potentiel financer par habitant inférieur à deux fois la moyenne de leur strate, et ayant une perte d’épargne brute supérieure à 15% en 2023. Les communes éligibles percevront une dotation égale à 50% de la différence, si elle est positive, entre l’augmentation des dépenses d’approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain entrer 2023 et 2022, et 50% de celle des recettes réelles de fonctionnement entre 2023 et 2022. Un acompte pourra être versé avant le 30 novembre 2023.
- La réintégration des opérations d’agencement et d’aménagement de terrains dans l’assiette du FCTVA, votée par le Sénat, n’a pas été conservée non plus dans le texte final. Il s’agissait pourtant d’une mesure attendue par de nombreux élus, sur laquelle le Gouvernement avait laissé entendre qu’un accord aurait pu être trouvé.
- La condition de potentiel financier relative à la dotation « élu local » et visant à ne permettre son versement qu’aux communes de moins de 1000 habitants, a également été rétablie par le Gouvernement. Le Sénat avait en effet demandé sa suppression car elle conduisait à exclure de son bénéfice près de 3000 communes.
Enfin, dernier motif d’insatisfaction : le rétablissement de la suppression de la moitié de la CVAE en 2023, sans précision suffisante concernant les modalités et garanties de compensation de cette perte de ressources pour les collectivités. Renvoyées à un décret ultérieur, ces précisions – ou plutôt leur absence – témoignent de la faible écoute de l’exécutif à l’égard des attentes des communes et d’un manque d’esprit collectif, sans lequel l’action publique ne pourra recouvrer son efficacité.